Fabrice Ho, l’enfant de Dumbéa devenu General Manager d’un complexe golfique de 37 trous au Cambodge, revient sur son parcours hors norme. Entre l’urgence de sauver Tina, son « bébé » calédonien qu’il juge à l’abandon, et l’audace de bâtir un géant asiatique, il raconte son golf : celui des défis, des passions et des renaissances.
1. Actuellement : à la tête d’un complexe golfique ambitieux au Cambodge
Tu es aujourd’hui General Manager au Chhun On Golf Resort, un complexe de 37 trous en construction. En quoi consiste ton rôle au quotidien ?
J’y suis arrivé en septembre 2023, huit mois avant l’ouverture du premier 18 trous (mai 2024, ndlr). Le deuxième ouvrira fin 2025. Ma première tâche a été de recruter les chefs de département et les 170 caddies. Aujourd’hui, j’ai 300 salariés sous ma responsabilité, 450 sont prévus d’ici un an. Mes journées ? 11 heures de travail en moyenne, 6 jours sur 7. Je commence le job à 5 heures quand le Premier ministre vient jouer, deux fois par semaine, sinon à 7h30 pour inspecter les parcours, les tontes, les bunkers. Ensuite, c’est réunion avec les chefs de département, de la Maintenance, des Operations, du Food & Beverage, etc. Après, c’est le contrôle des réservations, la gestion des emails, des rapports à lire et annoter, l’inspection du deuxième parcours en construction et un tour pour saluer les clients. Je joue deux fois par semaine, je fais 18 trous, une fois avec des clients et une fois avec mon équipe. Chez moi, c’est aussi du golf de nuit jusqu’à 20h30-21 heures certains soirs. Et je signe 40 à 50 documents par jour, je gère les commandes du proshop et je prépare l’ouverture de l’académie et du fitting center.


Quels ont été les défis majeurs lors de la construction des parcours ?
On devait ouvrir en janvier 2024, on a ouvert en mai. J’ai deux anecdotes marquantes : une semaine après mon arrivée, l’Asian Tour vient inspecter le parcours. Résultat : six greens à refaire en un mois pour répondre aux standards pros ! On l’a fait, et à une semaine de l’ouverture, le propriétaire décide de déplacer les départs du trou 8 de 30 mètres, un par 3 avec un lac : « Vous avez une semaine ! ». Avec quarante employés, en huit jours, c’était mission accomplie.
« Je n’arrivais pas à gérer la pression – j’ai appris à mes dépens ce qu’il ne fallait pas faire. »
Fabrice HO
Qu’est-ce qui rend Chhun On unique en Asie ?
Il y a plusieurs choses : c’est un design par Brian Curley, il a à son actif 150 parcours, dont Mission Hills en Chine, avec douze parcours à Shenzhen, un 19e trou en forme de carte du Cambodge, accessible en bateau pour aller putter, et des graminées uniques. Zeon Zoysia pour les fairways, Primo Zoysia pour les greens du Lake Course, Lyngz Zoysia pour les greens du Palm Course -une première en Asie, un drainage ultra-performant. On roule sur les fairways même en saison des pluies, avec un GPS dans tous les golf carts, ou un driving range de 350 m sur deux étages avec des distributeurs automatiques de balles. L’objectif : en faire l’un des meilleurs resorts d’Asie.



Tu intègres des pratiques durables, éco-responsables ?
Oui bien sûr, c’est un objectif majeur. On utilise déjà de l’eau de pluie pour l’irrigation, on se mettra à l’énergie solaire dès que possible, et une politique zéro plastique, lockers, proshop, restaurants est déjà en place. L’écologie n’est pas encore une priorité en Asie, mais ici on montre l’exemple, du moins on s’en approche.
2. Retour sur son parcours : de la Nouvelle-Calédonie à l’Asie
Comment as-tu commencé le golf en Nouvelle-Calédonie ?
Un jour que je faisais un footing dans mon quartier, en 1984, le pro de Dumbéa m’a proposé de taper des balles… au lieu de courir. Quinze jours plus tard, j’avais accroché ! Mon père (garde-champêtre de la commune, ndlr) nous déposait, mon frère et moi, au golf à 6 heures du matin, avec une glacière sous le jamelonier du 8. Et revenait nous chercher à la nuit tombée. J’ai enchaîné avec l’armée en 1988, une formation à Vichy pour mon Brevet d’État, puis une tentative de carrière pro en France. Je n’arrivais pas à gérer la pression – j’ai appris à mes dépens ce qu’il ne fallait pas faire (Fabrice a obtenu le BE1 en 1990 et le BE2 en 2001, ndlr).




Tu as ensuite fondé une école de golf à Tina, avec des résultats… disons exceptionnels.
En 1995, Jacques Lafleur m’a appelé pour que je sois le Head Pro à Tina, j’étais licencié à Dumbéa. J’ai accepté après réflexion et par la suite créé l’école de golf, la première du Caillou, avec plus de cent jeunes les mercredis après-midi. Mes plus belles réussites ? Tony Raillard, 3 titres de champion de France jeunes, Claude-Alexandre Lauret, vainqueur des Masters de France U14, Hugo Denis, lauréat du Greg Norman Masters U13 en 2010, deux titres de champion de France par équipe Benjamin/Minime. Et surtout, NC2011 : 7 médailles d’or sur 8 aux Jeux du Pacifique. De la planification à la remise des médailles, je n’ai rien à regretter.
« Lors de ma dernière visite, j’y ai joué une partie… et j’ai failli pleurer.«
Fabrice HO
Pourquoi avoir quitté la Nouvelle-Calédonie pour l’Asie ?
Après vingt années à Tina, j’ai eu envie de nouveaux défis. J’ai d’abord été Golf Manager au Sofitel Angkor, à Siem Reap déjà au Cambodge, pendant 7 ans. Puis l’opportunité de Chhun On est arrivée. Le Cambodge est en plein boom golfique -quinze nouveaux parcours sont prévus dans les six années qui arrivent-, et ce projet était trop ambitieux pour le refuser.
3. Tina : Un sujet sensible
Tu as évoqué le golf de Tina, peux-tu nous en dire plus, avec ton regard de l’extérieur ?
Lors de ma dernière visite, en août 2024, j’y ai joué une partie… et j’ai failli pleurer. Les greens sont catastrophiques, inégaux, les bunkers inexistants, et l’entretien y est minimal. Il faudrait tout fermer et tout refaire de A à Z, sinon les jeunes ne pourront jamais progresser. Car dans leur progression et partent louer à l’extérieur, le choc est trop violent. Déva a aussi perdu de sa superbe, mais c’est le contexte qui veut ça, pas de tourisme. Mais Tina… c’était mon bébé. Voir ça, c’est comme si on avait laissé tomber vingt ans de travail. Un golf, ça se maintient, ça s’investit, ça se modernise, sinon il meurt. Et Tina est en train de mourir. Ce qui me manque le plus ? L’ambiance des tournois, la Macarena après les victoires, les jeunes avec leurs médailles… Mais je m’adapte. Le Cambodge m’a offert une seconde vie professionnelle.

En photo avec sa fille Inès, en 2009 à Tina, Fabrice participe au PGA organisée par le club. Il finit seul deuxième, avec des cartes de 65, 67, 80 et 71.
« Le PGA de Tina était une formidable compétition, qui donnait à l’ensemble du golf calédonien un excellent objectif tous les ans, que ce soit pour les joueurs pros et amateurs, l’équipe de maintenance, l’ASGT. Tout le monde avait à coeur de bien faire cette semaine-là. Tout le crédit est à donner à Patrick Koch, Yves Beaumont et son comité, ils ont été les grands artisans de ce succès pendant une dizaine d’années. On a quand même eu des joueurs qui sont devenus des super stars, comme Cameron Smith ou Ryan Fox, pour ne citer qu’eux. De nos jours, ce ne serait plus possible vu l’état du parcours. »
Lorsque Dominique Ricaud a pris la direction de Tina il y a 5 ans, il avait pour consigne de remettre les comptes à l’équilibre, et ce sans plus aucune subvention de la part des entités publiques à la tête de la SEM de Tina. Est-ce tenable dans le temps ou faut-il une réaction politique ?
Il est difficile de répondre précisément, car je n’ai pas les chiffres. Mais si la province Sud reste l’actionnaire majoritaire, il n’est pas concevable qu’elle laisse un tel patrimoine se détériorer sans y investir les moyens nécessaires. Un nouveau club-house a été construit… Était-ce la priorité ? Je ne le pense pas, et je ne suis pas le seul à le dire. Ce golf avait aussi pour vocation de contribuer au développement touristique, mais aujourd’hui, personne ne planifie un voyage pour venir jouer en Nouvelle-Calédonie. En revanche, si vous avez un produit d’exception en ville, vous pouvez offrir une belle option aux croisiéristes lors de leurs escales. Mais pour cela, il faut une maintenance irréprochable et un accueil de qualité. Le mal est profond. Il n’y a pas de choix : il faut investir pour tout rénover, soit avec des fonds publics, soit en vendant à des privés – mais à une condition : qu’ils s’engagent à rénover et à conserver le golf dans son intégralité. J’ai d’autres idées, mais je les garde pour moi… au cas où.
Si demain tu devais lancer un projet en Nouvelle-Calédonie, que ferais-tu ?
Racheter Tina et tout refaire. Pas pour l’argent, mais pour redonner à ce lieu ce qu’il mérite : un parcours digne des champions qu’il a formés.
Tu as connu et coaché Julien Foret dès ses débuts, l’actuel Head Pro de Tina. Que penses-tu de son parcours et de ce qu’il fait aujourd’hui ?
Julien a fait partie de la toute première génération de l’école de golf de Tina. Il a grandement contribué aux divers succès du club et de la Ligue, jusqu’à son départ pour le Racing (Racing club de France, golf de La Boulie, Versailles, ndlr). C’était un garçon travailleur, sérieux, avec une attitude irréprochable sur un parcours et à l’entraînement. Il a eu une très belle carrière amateur, puis professionnelle, avec une victoire sur le Challenge Tour en play-off… contre Martin Kaymer. Je pense qu’il a ensuite passé trop de temps sur l’Alps Tour, en espérant remonter sur le Tour Européen. On en a souvent parlé : je lui avais conseillé de tenter l’Asian Tour, où son jeu et son physique auraient été parfaits. Mais ça ne s’est jamais fait. Il s’est ensuite tourné vers le coaching au Maroc, toujours avec le même sérieux, en club et pour la Fédération marocaine. Je pense qu’il est la personne idéale pour le poste de Head Pro à Tina : il connaît le club, les défis d’être loin de la Métropole pour le haut niveau, et tous les aspects de la performance. Travailleur et rigoureux, il a tout pour réussir… à condition que la structure le laisse travailler sans interférer dans le sportif.



Jean-Louis Guépy fait partie des actionnaires qui ont investi dès la création de Tina. Vous avez été les deux premiers Calédoniens à devenir pros, quelles relations avez-vous le temps passant ?
Nous avons passé beaucoup de temps ensemble dans notre jeunesse. On s’entraînait dur, avec des objectifs très précis. Nous avons fait notre service militaire ensemble à Villacoublay, passé nos diplômes de coach en même temps, et sommes devenus professionnels la même année, en 1991. Dès la première saison pro, Jean-Louis est devenu meilleur que moi. Il avait des résultats probants, alors que moi, je manquais de régularité et avais du mal à gérer mes émotions.Talentueux, mais pas le cerveau au même niveau, comme on disait. Blanc-Blanc avait un mental incroyable. Il a réalisé des choses extraordinaires en golf, comme sa 2e place à l’Open d’Australie 1995 à Kingston Heath, derrière Greg Norman. Avec le recul, c’était énorme… Numéro 1 français en détrônant Van de Velde, qui régnait depuis plusieurs années. Bref, un super joueur. Il lui a manqué 20-30 mètres au drive quand le jeu a évolué, et malgré son petit jeu créatif, c’est devenu trop difficile. À la fin de sa carrière, il a voulu rentrer en Nouvelle-Calédonie pour coacher. C’est là que les relations se sont dégradées.



De mon côté, j’avais déjà de très bons résultats avec l’école de golf et les équipes. Les dirigeants, y compris Jacques Lafleur, nous ont demandé de travailler ensemble. On a essayé, mais nous avons tous les deux un caractère de leader : impossible pour moi de m’effacer, et impossible pour lui aussi. Avec le recul, je pense que cela a été un mal pour un bien, pour nous deux, mais surtout pour le golf calédonien. Cela a permis d’avoir le practice de l’Hippodrome, une école de golf supplémentaire, et une rivalité sportive qui nous a boostés. Ce n’était pas facile pour nos amis golfeurs, car ils devaient souvent choisir entre nos projets. Cela demandait beaucoup de diplomatie. Quoi qu’il en soit, l’un comme l’autre, nous avons grandement contribué au développement sportif du golf calédonien, tout comme Dominique Ricaud d’ailleurs, quand il était coach. Aujourd’hui, je suis en Asie depuis 11 ans, et Jean-Louis est à Nouméa. L’important, c’est d’avoir la motivation quand on va au boulot le matin.
4. Le golf en Asie et ses perspectives
Comment vois-tu l’évolution du golf en Asie ?
Le golf est en plein boom : le Cambodge va construire quinze nouveaux parcours dans les cinq ou six années à venir, le Vietnam en a cent en projet. Ici, le golf est un outil d’ascension sociale et de networking – les business meetings se font sur les greens. L’écologie et l’accessibilité ne sont pas encore des priorités, mais on avance (eau de pluie, solaire, zéro plastique, ndlr).
Quels sont tes projets futurs ?
Mon objectif immédiat : faire de l’académie de Chhun On une des meilleures d’Asie du Sud-Est. Le Cambodge n’a jamais eu d’école de golf digne de ce nom. Ensuite, je reste ouvert : j’ai eu des contacts pour des projets en Afrique, au Vietnam, en Thaïlande, en Indonésie. Mais j’aime le Cambodge. Un retour en NC ? Peut-être, mais pas pour travailler dans le golf, sauf si des investissements majeurs seront faits.
5. Conseils aux jeunes Calédoniens
Un dernier mot pour les jeunes golfeurs calédoniens ?
Bien sûr, ne laissez personne vous empêcher de vivre vos rêves ! Faites vos choix, mais faites-les à fond. Si vous voulez percer, sortez du Caillou et affrontez la concurrence. Mais gardez en tête d’où vous venez : c’est ce qui vous rendra unique.




